adaptation

Adaptation, mon amour

Parmi les occupations constantes des personnes atypiques il y a l’adaptation. Au monde environnant, à son rythme, ses codes, ses implicites, ses mouvements…

2020 a généralisé cet enjeu à tous. Et en la matière, il y a les habitués, qui pour autant peuvent avoir déjà atteint leur quota. Et les moins habitués, qui peuvent se découvrir de véritables capacités créatives, ou se sentir particulièrement remués.

L’adaptation est devenue l’affaire de tous, livrée au pied du lit de mars 2020 sans mode d’emploi.

Cet impératif d’adaptation à un monde chahuté par le coronavirus révèle la difficulté de sa mise en œuvre par chacun. Tantôt dans le challenge, tantôt dans la tourmente, le besoin de préservation (sécurité matérielle, équilibre familial et personnel…) convoque différentes dispositions individuelles : facilité d’adhésion, aptitude aux choix, conscience du risque, confiance en soi, faculté de discernement, mobilisation de la créativité… Chacun étant inégal dans toutes ces habilités, différents états émotionnels peuvent émerger tels que l’envie, l’enthousiasme, l’implication, mais aussi la peur, l’appréhension, le sentiment d’échec, le découragement. Ainsi se colore d’émotions vives le quotidien de chaque individu.

Cela peut être éprouvant, l’adaptation, oui.

Si, dans ce contexte, nous sommes tous concernés par le sujet, il me paraît utile de rappeler que les personnes HPI sont confrontées à cet effort-là tout au long de leur vie.

Décalées comme « par nature », elles s’adaptent en permanence au bruit du monde qui les entoure (dont elles saisissent constamment les atmosphères, comportements, discours, relations interpersonnelles), comme aux demandes de cet environnement, qu’elles soient explicites ou implicites.

Mais pourquoi ces personnes s’adaptent-elles ?

Adaptation contre acceptation

Maslow dirait que nous sommes là face à l’expression d’un besoin, plus spécifiquement celui d’appartenance et d’affection. Il s’agit du premier des besoins secondaires (après les deux besoins primaires : physiologiques et sécuritaires), en appelant au sentiment d’être accepté et estimé par un ou des groupes sociaux, à commencer par la famille, mais aussi les camarades de classe, les amis, les collègues, les membres d’une association… À l’intérieur d’un groupe, l’individu recherche de la reconnaissance (se réfère donc au besoin d’aimer et d’être aimé).

Lise Bourbeau considèrerait, elle, que les blessures de l’enfance (le rejet, par exemple, dont peuvent souffrir bon nombre de personnes différentes) pourraient bien inviter les individus en ayant souffert à davantage se conformer aux attentes des autres, quitte à s’invisibiliser. Pour éviter de rester dans la solitude de son monde intérieur, dans l’absence d’interactions et la fuite du collectif, la personne HPI peut se sentir encouragée à se mouler un peu plus dans les codes des systèmes qu’elle souhaite intégrer (école, entreprise, famille…). Ainsi espère-t-elle y être moins remarquée dans ses différences et donc moins stigmatisée en tant que personne « non-conforme ».

Alice Miller imaginerait probablement de son côté que chaque enfant a été conditionné par ses parents à se modeler dans ce qu’ils souhaitaient de elle/lui, et ce afin de gagner leur acceptation. En intégrant alors leurs attentes comme étant les siennes,  l’enfant développerait une personnalité « comme si », un faux self (Faux Soi) résultant d’une adaptation excessive, niant ainsi son droit à être considéré dans son existence propre, spécifique, et différenciée. Parallèlement, le Vrai Soi aura été empêché de se développer, et donc restera indisponible à la construction personnelle. L’option d’adaptation se présentera ainsi comme une habitude, une gageure, presque, dans la création de lien avec autrui, au fil de la vie.

Un prisme qui rejoindrait ce que Winnicott pourrait éventuellement en dire. Selon ses théories, le développement de l’identité peut se dissocier entre sa part d’expression naturelle et spontanée intérieure, et sa part tournée vers l’extérieur, dont la fonction serait de créer du lien.

Les personnes HPI développent donc une faculté d’adaptation surdimensionnée visant à ne pas être socialement disqualifiées, et leur permettant, à une certaine échelle, de trouver une place au sein du collectif.

Selon ces éclairages, l’enjeu se pose comme une évidence. Nous sommes bien face à une problématique de lien, dans laquelle s’opère un troc Adaptation contre Acceptation (être accepté, parce que l’on est adapté).

Adaptation et identité

Mais une autre dimension pourrait bien également prendre a part dans ce processus. Au-delà d’un besoin d’être accepté par les autres, l’enfant a également besoin de s’identifier aux autres pour pouvoir se positionner dans son identité propre face à eux.

« La relation aux autres enfants va implicitement confirmer ce « sentiment d’étrangeté ». L’identification aux pairs est difficile car l’enfant surdoué n’arrive pas à trouver autour de lui un effet miroir. C’est-à-dire cette possibilité de se sentir pareil pour pouvoir assumer sa propre personnalité. […] A l’adolescence, cette difficulté d’être intégré au groupe de pairs met sérieusement en péril le processus identitaire, central à cette période de la vie. », Jeanne Siaud-Facchin, dans son article Quand l’intelligence élevée fragilise la construction de l’identité : comment grandit-on quand on est surdoué ?, revue Développements n°6, parue en 2010

Nous marchons ici sur le fil ténu d’un développement de la personnalité reliant la dose de différenciation suffisante pour qu’une personne puisse se reconnaître une identité propre (autre que l’Autre) et le besoin d’être reconnu par l’Autre (« comme » lui-même), pour pouvoir accéder au contact, voire au lien.

La question de l’adaptation soulève donc celles des constructions de l’identité et de la personnalité, et de l’influence réciproque entre l’individu et son environnement, dans le caractère indissociable de leurs existences.

Portons notre attention sur la construction identitaire de l’individu, celle qui fait référence au fait d’exister en tant qu’être.

Pour Jean-François Gravouil, Gestalt-Thérapeute, Coach, Formateur, et ancien président de la Société Française de Gestalt,  une construction narcissique saine se caractérise par trois phases. (Cahiers de la Gestalt Thérapie n°35, 2015)

  1.  « J’ai le droit d’exister, personne ne veut que je meure » 

C’est le droit d’exister comme une personne vivante : quelqu’un désire ou, tout au moins, veut bien que je vive et je peux oser vivre en sécurité, sans crainte d’être détruit. Ceci ne va pas de soi pour tous les enfants (guerres, famines, maladies graves du nourrisson, désirs ou menaces de mort des parents sur l’enfant, etc.) et cette insécurité vitale, physique ou psychique, pèsera sur le sentiment d’existence. Il faudra se faire oublier, disparaître, se cacher, etc., pour échapper à la destruction.

  •  « J’ai le droit d’exister en tant que personne singulière et quelqu’un désire que je sois cette personne unique et originale »

L’enfant est soutenu et accueilli avec joie dans le déploiement de ses potentialités. Il n’est pas confiné dans la réponse aux attentes et désirs de l’autre, il peut exister pour lui-même et se différencier sans risques d’attaques (dévalorisation, chantage affectif, culpabilisation, etc.). Ceci ne veut pas dire que l’enfant n’ait pas besoin d’être éduqué et d’apprendre la vie sociale, mais cette éducation n’est pas un formatage rigide et prend en compte la personnalité propre de l’enfant.

  • « Qui je suis a de la valeur et ce que je fais a, le plus souvent, de la valeur »

Parce que j’ai reçu de l’attention, de l’intérêt, des reflets positifs et des critiques ajustées sur ma personnalité et sur mes actes, je peux me faire confiance. Je connais mes limites et mes ressources, mes qualités et mes défauts et je peux m’estimer avec toutes mes facettes, sans être obligé de me cliver en Dr Jekyll et Mr Hyde et d’ignorer mon ombre pour pouvoir vivre ou inversement de n’être occupé que de mes insuffisances supposées sans pouvoir m’appuyer sur mes compétences effectives. Notons, en passant, que le 2ème niveau, celui de l’individuation et de la socialisation combinées, est décisif dans la possibilité d’exister par soi-même ou dans le besoin d’aller chercher une identité d’emprunt dans des appartenances sociales aliénantes, qu’elles soient religieuses, politiques, associatives ou, plus radicalement, sectaires ou extrémistes (qu’on ne se méprenne pas, tous les investissements sociaux ne sont pas aliénés, ils sont souvent en cohérence avec une personnalité construite et mature).

Nous cernons bien ici toute la complexité dilemmatique à laquelle se confronte une personne atypique, prise en étau entre son besoin de construction narcissique (être soi) et son besoin d’intégration sociale. Toute la difficulté pour une personne HPI résidera donc dans le développement d’une adaptabilité capable d’équilibrer ces deux forces à la fois contraires et complémentaires. La demande sociale criant souvent plus fort que le narcissisme, il est courant pour une personne surdouée de se « gommer » presque complètement au bénéfice du faux self, ce si magique ticket d’entrée pour le monde. Elle oublie alors ses propres besoins, émotions, aspirations, là où tout son être aurait probablement bien des richesses à proposer autour d’elle. C’est d’ailleurs cette configuration qui fait le lit du risque de burn out, si courant chez les personnes HPI.

La véritable quête d’adaptation du surdoué se pose alors ainsi : s’intégrer en restant soi, et proposer à l’ensemble de profiter de sa touche personnelle. En lien avec ses besoins, aspirations, émotions, signaux corporels.Tout un programme, pour lequel il est souvent bénéfique d’être accompagné.