Chériiiiie, je pars au télétravail, à ce soir !

Voilà presque un an qu’on télé-travaille un peu, beaucoup, passionnément, à la folie…

Une dynamique amorcée il y a bon nombre d’années, mais restée relativement marginale jusqu’au coronavirus, se fait une place de choix en ces années 2020 parmi les modalités d’exercice de ses fonctions.

De la fantaisie dans le travail ?

Ce télétravail se pratique dans la cuisine ou au lit, en slip ou en jean, dès le réveil ou plutôt le soir, pieds nus ou en chaussons, entrecoupé de la balade du chien, du café avec le voisin, de la lessive à étendre…

Cette nouvelle configuration ouvre tout un pan de possibilités inédites. Elle chahute aussi une flopée de repères. Certaines personnes m’expriment, en rendez-vous, leur difficulté à côtoyer au quotidien leur conjoint-télétravailleur, ou à délimiter un espace de travail qui ne contaminerait pas l’espace personnel et familial.

Invitée à mettre en place sa propre organisation pro, chaque personne a désormais la responsabilité de ses rythmes, besoins, et à tâtons s’essaye à sa version idéale du télétravail, celle qui satisfait à la fois sa performance professionnelle, sa vie d’équipe, mais qui respecte et nourrit sa vie privée.

J’y vais, j’y suis, j’en reviens, j’y suis plus…

Lors de mes entretiens, chez Singuliers & Pluriels, j’identifie que les rituels de transition sont souvent les oubliés de cette nouvelle routine. Par exemple avant, nous allions au travail, et cela marquait la distinction concrète entre le monde pro et le monde perso, permettait éventuellement de laisser ce qui se vivait à la maison à la maison, et inversement au retour. A présent nous y sommes, au travail, puisque c’est lui qui nous accompagne là où nous nous trouvons, via tous les moyens numériques.

Le télétravail vient donc chatouiller vivement la question de la porosité entre les différentes sphères de nos vies. Il nous devient essentiel d’inventer, si nous voulons viabiliser ce système, des rituels de perméabilité afin de baliser clairement chez soi ce qui est travail et ce qui ne doit pas l’être. Dans l’espace, dans le temps, tout comme dans la disponibilité de l’esprit.

adaptation

Adaptation, mon amour

Parmi les occupations constantes des personnes atypiques il y a l’adaptation. Au monde environnant, à son rythme, ses codes, ses implicites, ses mouvements…

2020 a généralisé cet enjeu à tous. Et en la matière, il y a les habitués, qui pour autant peuvent avoir déjà atteint leur quota. Et les moins habitués, qui peuvent se découvrir de véritables capacités créatives, ou se sentir particulièrement remués.

L’adaptation est devenue l’affaire de tous, livrée au pied du lit de mars 2020 sans mode d’emploi.

Cet impératif d’adaptation à un monde chahuté par le coronavirus révèle la difficulté de sa mise en œuvre par chacun. Tantôt dans le challenge, tantôt dans la tourmente, le besoin de préservation (sécurité matérielle, équilibre familial et personnel…) convoque différentes dispositions individuelles : facilité d’adhésion, aptitude aux choix, conscience du risque, confiance en soi, faculté de discernement, mobilisation de la créativité… Chacun étant inégal dans toutes ces habilités, différents états émotionnels peuvent émerger tels que l’envie, l’enthousiasme, l’implication, mais aussi la peur, l’appréhension, le sentiment d’échec, le découragement. Ainsi se colore d’émotions vives le quotidien de chaque individu.

Cela peut être éprouvant, l’adaptation, oui.

Si, dans ce contexte, nous sommes tous concernés par le sujet, il me paraît utile de rappeler que les personnes HPI sont confrontées à cet effort-là tout au long de leur vie.

Décalées comme « par nature », elles s’adaptent en permanence au bruit du monde qui les entoure (dont elles saisissent constamment les atmosphères, comportements, discours, relations interpersonnelles), comme aux demandes de cet environnement, qu’elles soient explicites ou implicites.

Mais pourquoi ces personnes s’adaptent-elles ?

Adaptation contre acceptation

Maslow dirait que nous sommes là face à l’expression d’un besoin, plus spécifiquement celui d’appartenance et d’affection. Il s’agit du premier des besoins secondaires (après les deux besoins primaires : physiologiques et sécuritaires), en appelant au sentiment d’être accepté et estimé par un ou des groupes sociaux, à commencer par la famille, mais aussi les camarades de classe, les amis, les collègues, les membres d’une association… À l’intérieur d’un groupe, l’individu recherche de la reconnaissance (se réfère donc au besoin d’aimer et d’être aimé).

Lise Bourbeau considèrerait, elle, que les blessures de l’enfance (le rejet, par exemple, dont peuvent souffrir bon nombre de personnes différentes) pourraient bien inviter les individus en ayant souffert à davantage se conformer aux attentes des autres, quitte à s’invisibiliser. Pour éviter de rester dans la solitude de son monde intérieur, dans l’absence d’interactions et la fuite du collectif, la personne HPI peut se sentir encouragée à se mouler un peu plus dans les codes des systèmes qu’elle souhaite intégrer (école, entreprise, famille…). Ainsi espère-t-elle y être moins remarquée dans ses différences et donc moins stigmatisée en tant que personne « non-conforme ».

Alice Miller imaginerait probablement de son côté que chaque enfant a été conditionné par ses parents à se modeler dans ce qu’ils souhaitaient de elle/lui, et ce afin de gagner leur acceptation. En intégrant alors leurs attentes comme étant les siennes,  l’enfant développerait une personnalité « comme si », un faux self (Faux Soi) résultant d’une adaptation excessive, niant ainsi son droit à être considéré dans son existence propre, spécifique, et différenciée. Parallèlement, le Vrai Soi aura été empêché de se développer, et donc restera indisponible à la construction personnelle. L’option d’adaptation se présentera ainsi comme une habitude, une gageure, presque, dans la création de lien avec autrui, au fil de la vie.

Un prisme qui rejoindrait ce que Winnicott pourrait éventuellement en dire. Selon ses théories, le développement de l’identité peut se dissocier entre sa part d’expression naturelle et spontanée intérieure, et sa part tournée vers l’extérieur, dont la fonction serait de créer du lien.

Les personnes HPI développent donc une faculté d’adaptation surdimensionnée visant à ne pas être socialement disqualifiées, et leur permettant, à une certaine échelle, de trouver une place au sein du collectif.

Selon ces éclairages, l’enjeu se pose comme une évidence. Nous sommes bien face à une problématique de lien, dans laquelle s’opère un troc Adaptation contre Acceptation (être accepté, parce que l’on est adapté).

Adaptation et identité

Mais une autre dimension pourrait bien également prendre a part dans ce processus. Au-delà d’un besoin d’être accepté par les autres, l’enfant a également besoin de s’identifier aux autres pour pouvoir se positionner dans son identité propre face à eux.

« La relation aux autres enfants va implicitement confirmer ce « sentiment d’étrangeté ». L’identification aux pairs est difficile car l’enfant surdoué n’arrive pas à trouver autour de lui un effet miroir. C’est-à-dire cette possibilité de se sentir pareil pour pouvoir assumer sa propre personnalité. […] A l’adolescence, cette difficulté d’être intégré au groupe de pairs met sérieusement en péril le processus identitaire, central à cette période de la vie. », Jeanne Siaud-Facchin, dans son article Quand l’intelligence élevée fragilise la construction de l’identité : comment grandit-on quand on est surdoué ?, revue Développements n°6, parue en 2010

Nous marchons ici sur le fil ténu d’un développement de la personnalité reliant la dose de différenciation suffisante pour qu’une personne puisse se reconnaître une identité propre (autre que l’Autre) et le besoin d’être reconnu par l’Autre (« comme » lui-même), pour pouvoir accéder au contact, voire au lien.

La question de l’adaptation soulève donc celles des constructions de l’identité et de la personnalité, et de l’influence réciproque entre l’individu et son environnement, dans le caractère indissociable de leurs existences.

Portons notre attention sur la construction identitaire de l’individu, celle qui fait référence au fait d’exister en tant qu’être.

Pour Jean-François Gravouil, Gestalt-Thérapeute, Coach, Formateur, et ancien président de la Société Française de Gestalt,  une construction narcissique saine se caractérise par trois phases. (Cahiers de la Gestalt Thérapie n°35, 2015)

  1.  « J’ai le droit d’exister, personne ne veut que je meure » 

C’est le droit d’exister comme une personne vivante : quelqu’un désire ou, tout au moins, veut bien que je vive et je peux oser vivre en sécurité, sans crainte d’être détruit. Ceci ne va pas de soi pour tous les enfants (guerres, famines, maladies graves du nourrisson, désirs ou menaces de mort des parents sur l’enfant, etc.) et cette insécurité vitale, physique ou psychique, pèsera sur le sentiment d’existence. Il faudra se faire oublier, disparaître, se cacher, etc., pour échapper à la destruction.

  •  « J’ai le droit d’exister en tant que personne singulière et quelqu’un désire que je sois cette personne unique et originale »

L’enfant est soutenu et accueilli avec joie dans le déploiement de ses potentialités. Il n’est pas confiné dans la réponse aux attentes et désirs de l’autre, il peut exister pour lui-même et se différencier sans risques d’attaques (dévalorisation, chantage affectif, culpabilisation, etc.). Ceci ne veut pas dire que l’enfant n’ait pas besoin d’être éduqué et d’apprendre la vie sociale, mais cette éducation n’est pas un formatage rigide et prend en compte la personnalité propre de l’enfant.

  • « Qui je suis a de la valeur et ce que je fais a, le plus souvent, de la valeur »

Parce que j’ai reçu de l’attention, de l’intérêt, des reflets positifs et des critiques ajustées sur ma personnalité et sur mes actes, je peux me faire confiance. Je connais mes limites et mes ressources, mes qualités et mes défauts et je peux m’estimer avec toutes mes facettes, sans être obligé de me cliver en Dr Jekyll et Mr Hyde et d’ignorer mon ombre pour pouvoir vivre ou inversement de n’être occupé que de mes insuffisances supposées sans pouvoir m’appuyer sur mes compétences effectives. Notons, en passant, que le 2ème niveau, celui de l’individuation et de la socialisation combinées, est décisif dans la possibilité d’exister par soi-même ou dans le besoin d’aller chercher une identité d’emprunt dans des appartenances sociales aliénantes, qu’elles soient religieuses, politiques, associatives ou, plus radicalement, sectaires ou extrémistes (qu’on ne se méprenne pas, tous les investissements sociaux ne sont pas aliénés, ils sont souvent en cohérence avec une personnalité construite et mature).

Nous cernons bien ici toute la complexité dilemmatique à laquelle se confronte une personne atypique, prise en étau entre son besoin de construction narcissique (être soi) et son besoin d’intégration sociale. Toute la difficulté pour une personne HPI résidera donc dans le développement d’une adaptabilité capable d’équilibrer ces deux forces à la fois contraires et complémentaires. La demande sociale criant souvent plus fort que le narcissisme, il est courant pour une personne surdouée de se « gommer » presque complètement au bénéfice du faux self, ce si magique ticket d’entrée pour le monde. Elle oublie alors ses propres besoins, émotions, aspirations, là où tout son être aurait probablement bien des richesses à proposer autour d’elle. C’est d’ailleurs cette configuration qui fait le lit du risque de burn out, si courant chez les personnes HPI.

La véritable quête d’adaptation du surdoué se pose alors ainsi : s’intégrer en restant soi, et proposer à l’ensemble de profiter de sa touche personnelle. En lien avec ses besoins, aspirations, émotions, signaux corporels.Tout un programme, pour lequel il est souvent bénéfique d’être accompagné.

Histoire d’un burn out sans coupable

Le fameux burn out, syndrome d’épuisement professionnel, phénomène plus spécifiquement observé depuis quelques années et donc perçu comme grandissant, stimule les plumes des journalistes et questionne les acteurs d’un monde du travail en mutation.

Il est estimé que 8% de la population active est en burn out élevé, avec de nombreuses disparités selon les secteurs et métiers exercés, dont certains voient leur part de population en burn out sévère grimper à 41% (Philippe Zawieja, Docteur en sciences et génie des activités à risques, chercheur aux Mines, Paris).

Le sujet questionne, le sujet perturbe, le sujet éveille, le sujet est là.

Il est là, avec ce qu’il peut inspirer de blâmes, d’agacement, de révolte, de dégoût, de compassion, d’inquiétude, de volonté d’action, ou de sentiment d’impuissance.

721 millions d’occurrences sur Google sont recensées sur ce thème, compilant autant de données factuelles, de témoignages, de titres sensationnels, ou d’usages galvaudés. Un vrac géant, vertigineux, enivrant, et malheureusement encore contreproductif, si l’on considère que la masse d’informations à disposition serait supposée permettre de déjouer l’« effrayante mécanique du burn out ».

Avant toute chose, c’est quoi, en fait, un burn out ?

Dès les années 70, de nombreux psychiatres et chercheurs étudient ce processus afin d’en identifier les caractéristiques notables. Les études mettent en lumière certaines manifestations factuelles servant d’éléments de définition.

  • Il y a ce qu’on en dit 

Les premiers travaux sur le thème, par Freubenberg et Richelson, en 1980, définissaient le burn out comme un « état de fatigue et de frustration, de dépression, provoqué par l’engagement dans une cause, un mode de vie, ou une relation et qui échoue à produire les résultats escomptés », et caractérisé par « un engagement excessif répondant à une demande trop intense ».

Pour Cherniss, toujours en 1980, le burn out est le résultat d’un « choc » entre la réalité d’un quotidien au travail et un mythe professionnel.

Les observations les plus communément reprises et citées dans la littérature sur le sujet sont de Maslach et Leiter (1997 et 2008). Leurs études concluent que le burn out prend racine dans un épuisement émotionnel caractérisé par un manque d’énergie, une irritabilité, une impulsivité stratégiquement étouffées par le sujet lui-même. S’enclenche alors une phase de dépersonnalisation ou déshumanisation de la relation (prise de distance ou mise à distance de l’entourage et des tiers). De façon concomitante, c’est le sentiment d’accomplissement personnel qui s’étiole. Ce processus évolue en lien avec les six facteurs organisationnels suivants : surcharge de travail, manque de contrôle, insuffisance des rétributions, anéantissement du sentiment collectif, manquements à la justice et conflits de valeurs.

  • Parce qu’il y a ce qu’on y voit 

En 1992, les travaux des psychologues américains Herbert J. Freudenberger et Gail North ont pu en mettre en évidence douze étapes clés, survenant de façon aléatoire, de façon non-linéaire, mais manifestant, dans leurs occurrences conjointes, une forme de mécanique symptomatique de l’épuisement professionnel.

  1. Obsession de se prouver : se placer des défis
  2. Engagement excessif : travailler plus
  3. Négligence de ses propres besoins : en détente, alimentation et sommeil
  4. Refoulement des conflits : la personne ne réalise pas comment sa détresse s’active
  5. Révision de valeurs : les valeurs de la personne se font plus floues et sont moins investies
  6. Difficulté d’évaluation des problèmes : cynisme et sentiment de fatalité
  7. Repli sur soi : Retrait des contextes sociaux, abus potentiel d’alcool ou de drogues
  8. Modification comportementale : devenant plus visible pour l’entourage
  9. Dépersonnalisation : focalisation sur les objectifs frustrés et perte du sens du contact
  10. Vide intérieur : avec probabilité de pulsions compensatrices (nourriture, tabac, drogues…)
  11. Dépression : perte de sens et de confiance en l’avenir
  12. Syndrome de burn out : effondrement psychique et physique, possibles pensées suicidaires

Certains cas sont certes directement corrélés à de manifestes pratiques managériales condamnables (harcèlement moral caractérisé), et condamnées par la justice. Dans notre monde du travail il y a, oui, des victimes de négligences ou maltraitances volontaires conduites au burn out, qui ont besoin de reconnaissance puis de reconstruction, de l’estime d’elles-mêmes notamment.

Mon regard ne se pose pas ici sur ces victimes-là. Mais sur les personnes perdant pied dans d’autres contextes moins criants, plus sourds, nuancés, impalpables… Plus « normaux ».

Par la lorgnette de certaines situations de burn out observées, je n’aperçois ni coupable, ni victime. Pour les personnes que j’accompagne concernées par ce Mal Des Temps Modernes que j’accompagne dans mon métier de coach, l’équation ne se pose pas forcément non plus de cette façon (notons, bien évidemment, que les personnes que j’accompagne ne valent pas échantillon représentatif de l’entièreté des cas de burn out).

Mais alors, elle est faite de quoi, cette équation, dans ce cas ? Eh bien, je dirais d’une conjonction entre zones aveugles et de zones d’impuissance. Je m’explique un peu après.

Quand il n’y a ni coupable de faiblesse, ni coupable de persécution

Partant de l’a priori que la plupart des employeurs ont plus intérêt à avoir des équipes impliquées et heureuses de l’être qu’à s’embourber dans une gestion coûteuse en temps, comme en budget, d’équipes démobilisées et abandonnistes, mon hypothèse postule que cadres, DRH, et dirigeants préfèrent éviter le burn out de leurs collaborateurs.

Partant également de l’a priori que tout salarié aspire à prendre plaisir, s’épanouir, voire à grandir dans son métier et ses fonctions, ainsi qu’à garder son emploi, mon hypothèse présuppose qu’un salarié ne place pas non-plus l’éventualité d’un épuisement professionnel out dans sa liste d’objectifs personnels.

A moins de dispositions pathologiquement contraires à ces moteurs respectifs des deux parties, le terreau du quotidien du salarié ne semble pas infesté de graines de burn out toutes prêtes à éclore. Et il ne l’est pas, a priori.

Les graines sont ailleurs, semées en la personne elle-même avant même son arrivée dans l’entreprise. Placées dans sa conjoncture personnelle, dans ses valeurs, dans ses croyances, dans ses habitudes ou ses enjeux. La fécondation de ces graines se fera, ou non, par l’organisation et sa façon de les chatouiller et activer en son collaborateur. Enfin, la pousse de la plante carnivore nommée « burn out » dépend d’un arrosage issu des deux parties : organisation et collaborateur, dans leurs aptitudes respectives à communiquer et échanger, à entrer en relation de façon saine, à agir en cohérence.

Zone aveugles et zones d’impuissance

De la graine à la pousse, arrosée par l’une, l’autre, ou les deux parties, c’est en tout cas en l’individu lui-même que prend vie le burn out. Alors il se manifeste par des séries de caractéristiques survenant successivement ou, pour certaines, de façon simultanée.

Les premières étapes du syndrome d’épuisement professionnel relèvent de la mobilisation, quoi de plus « normal » que de s’enthousiasmer et de s’investir dans un nouveau job ? Ni la personne concernée ni ses collègues ni son management n’auraient à s’en alerter. Ce point de départ là semble plutôt rassurant pour tous. Tout se passe comme attendu, et chacun peut se concentrer sur ses missions sans perturbations.

C’est dès la survenue de la troisième étape (si l’on se réfère aux douze étapes de Freudenberger et North ci-dessus), celle de l’investissement excessif, rognant sur l’équilibre personnel, puis les valeurs personnelles, que pourraient s’alerter les différents acteurs.

Apparaît là la première zone aveugle du processus. Comment savoir, pour les managers, et collègues de la personne concernée, qu’elle est en train de se compromettre ? Son amplitude horaire ne correspond-elle pas à son besoin habituel, à elle ? La personne elle-même, qui rogne sur son temps personnel (de loisir, de sport, de vie familiale…), se rend-elle compte qu’elle est en train de s’installer dans un fonctionnement déséquilibré de façon durable (« Allez, je vais manquer ma séance de badminton ce soir, j’y retournerai la semaine prochaine, au pire le mois prochain ») ?

Intérieurement, la personne happée par un processus de burn out se trouve souvent dans le déni au fil des étapes, même lorsque que l’extérieur -souvent la famille-, lui fait remarquer le caractère à inhabituel et étrange de ses comportements, plutôt à partir de la phase 7 à 8 (cf les douze étapes de Freudenberger et North).

La zone aveugle des collègues et managers tient au manque de connaissance intime de la personne, ce qui les rend difficilement capables de distinguer les comportements qui relèveraient de l’« anormal » au vu de ses repères et fonctionnements habituels. Leur zone d’impuissance réside dans leur incapacité à intervenir de façon constructive dans le vécu caché par la personne. Comment tenir compte d’une demande non formulée, voire même totalement dissimulée ?

La zone aveugle de la famille et des proches tient au fait de ne pas assister au comportement de la personne sur son lieu de travail, et de ne pouvoir discerner les éléments inhabituels que tardivement dans le processus. Leur zone d’impuissance commence dès lors qu’ils évoquent la mission de la personne, qu’ils ne sont pas à même de saisir, d’évaluer, de jauger. Leur vision des choses se retrouve bien souvent invalidée et rejetée au nom d’une méconnaissance du sujet.

La zone aveugle de la personne concernée tient à son déficit d’écoute d’elle-même et de ses besoins, de conscience de ses équilibres, et à l’inadaptation de son degré d’exigence envers elle-même. Davantage de conscience d’elle-même lui permettrait de mieux communiquer ses besoins, ajuster ses limites afin de préserver le bon déploiement d’énergie dans les différents pans de son équilibre vital. Sa zone d’impuissance touche aux contraintes de l’organisation au sein de laquelle elle travaille. La personne se confronte obligatoirement aux limites budgétaires et/ou fonctionnelles ne lui incombant pas, cadrant son champ d’action, et ses possibilités de formuler certaines demandes.

Donc, ni victimes, ni coupables, mais aveugles et impuissants, comment envisager de déjouer le phénomène ?

Vers une co-responsabilité

Si plusieurs manifestations du burn out sont observables, c’est dans la rencontre du sujet et de l’organisation que naît l’orchestration tempêtueuse des différentes constituantes du syndrome.

Il me paraît donc opportun pour chacun, côté collaborateur comme organisation, de contribuer à la résorption des zones aveugles pour gagner du terrain en puissance vers une coopération fructueuse pour les deux bords (la toute-puissance étant pragmatiquement exclue).

Si je reviens à ce que j’observe par la lorgnette de mes accompagnements de burn out, j’aperçois à posteriori des moyens possibles d’enrayer le processus.

  • Placer des repères

Il n’est pas rare que des personnes aient vécu un épisode 0 du burn out qu’elles déclareront plus tard plus officiellement. Un épisode réunissant bon nombre des caractéristiques du processus, sans qu’elles n’aient été identifiées. Ce sont le manque d’éléments de lecture et la méconnaissance du sujet qui entravent l’analyse de ces situations, et donc la possibilité de mettre en place une alternative comportementale et / ou relationnelle. Lors de ce préambule, les étapes clés du syndrome n’ont été conscientisées, observées ou prises en compte ni par la personne concernée, ni par l’entreprise, ni par un professionnel extérieur.

C’est en cela qu’il est nécessaire que chacun prenne connaissance des points-clés factuels du processus relatés précédemment. Tous les participants à l’environnement de travail se doivent d’être éclairés sur les points détectables. Le sujet à risque, afin de pouvoir s’en alerter, mais aussi les collègues et managers afin de mieux lire en leurs collaborateurs.

  • S’observer / Observer

Pour repérer les signes, il est indispensable d’observer. La personne elle-même peut disposer de tous ses ressentis intérieurs. Quelles émotions l’agitent-elles ? Qu’expriment- elles ? Il est indispensable de se placer à l’écoute de ses signaux corporels, et de s’atteler à les mettre en lien avec le factuel. « Mes yeux se ferment. Cela m’indique une fatigue visuelle. Je regarde l’heure, et je remarque que cela fait huit heures que je n’ai pas levé le nez de mon écran d’ordinateur. Et hier, ai-je travaillé différemment ? Etait-ce mieux ou moins bon pour moi ? Me suis-je senti fatigué après la journée ?… ».

L’organisation, elle (managers, collègues), peut noter également chez ses collaborateurs des signes interpellants tels qu’une amplitude horaire particulièrement large et tardive, une instabilité de l’humeur, une soustraction aux temps collectifs, un discours fataliste, des compulsions alimentaires… L’idée n’est pas de surveiller, mais de poser son regard sur ce qui se vit là, sous les yeux de tous.

  • Communiquer

Chaque élément potentiellement repéré a besoin d’être soumis et vérifié entre les deux parties. C’est une étape potentiellement délicate, dans le sens où elle requiert des aptitudes spécifiques. En cela il est utile de la faire accompagner par un tiers.

Cette communication s’envisage selon des échanges d’égal à égal, entre un collaborateur et une organisation ayant un intérêt commun : que la mission puisse être menée à bien, et donc que les conditions de réalisation soient favorables et porteuses. Les observations de chacun sont amenées à l’autre, dépliées, contextualisées et proposées comme base d’un ajustement, si nécessaire, auquel chacun contribuera dans le spectre de ses possibilités d’action.

Cette base est un élément clé de l’accordage nécessaire à une harmonie équilibrante.

  • S’ajuster / Ajuster

Une fois les observations repérées communiquées et placées dans une volonté commune de co-construction, chaque partie s’engage à faire sa part.

Le collaborateur, dans le respect de lui-même et de ses possibilités, s’autorise à modéliser autrement son implication au sein de l’organisation, en redistribuant de façon plus qualitative l’énergie déployée, et en calibrant autrement certains enjeux personnels.

L’organisation, dans son champ de compétence, peut revisiter les objectifs fixés, si nécessaire, ou apporter des réponses à certains besoins du collaborateur sur différentes plans (plannings, méthodologies, ergonomie, formation…).

Étouffer le feu

C’est donc dans une meilleure connaissance de soi, et dans une qualité relationnelle et organisationnelle que se jouent les possibilités de désamorcer le syndrome d’épuisement professionnel. Cette relation individu / organisation s’accompagne. Le coach en efficacité relationnelle, est au burn out ce que l’extincteur est à l’incendie. Il déjoue les démarrages de feu avant le grand brasier.

Par Ségolène Dallongeville

Cachez cette émotion que je ne saurais voir

Bon nombre de personnes hypersensibles se voient reprocher ou se reprochent elles-mêmes une forme de démesure émotionnelle.

Tant, qu’elles peuvent avoir le désir d’apprendre à avoir le dessus sur ces si dérangeantes émotions.
Ainsi fleurissent les promesses, ça et là, de nombreux ouvrages et articles en la matière.

« Bien maîtriser ses émotions : nos conseils et astuces », « Gérer ses émotions pour résoudre les problèmes : voici les astuces qui marchent ! », « Vaincre sa colère pour réussir sa vie ».
Autant de propositions qui suggèreraient que l’émotion est l’ennemie, le parasite, et qu’il serait temps de la dominer ou de l’éradiquer une bonne fois pour avancer librement.


Or l’émotion, instinctive et incontrôlable, fait pleinement partie d’un soi vivant dont elle est la boussole.

Établir une relation conflictuelle avec elle, c’est inscrire une relation conflictuelle avec soi.

Chez Singuliers & Pluriels, notre élan se veut plus écologique.

Nous préférons écouter ce précieux et respectable indicateur qu’est l’émotion, intégrer son message, et si nécessaire répondre à ce qu’il indique.

Ainsi, notamment, se construit la paix dans laquelle s’appuyer en toute sécurité.

Par Ségolène Dallongeville